Yoga with Adriene, l’histoire d’un succès planétaire
Adriene passe prestement d’une posture à l’autre, dans la pièce lumineuse au sixième étage de l’Hôtel Soku, à Amsterdam, où elle séjourne. Le soleil souligne sa silhouette longiligne. Entourée de plantes, ses yeux bruns pétillent et elle se montre aussi professionnelle que bienveillante. Mais en l’observant plus attentivement, on détecte quelque chose de vulnérable dans son visage, une trace de fatigue. Sa voix rauque le confirme : la mondialement célèbre professeure de yoga souffre d’une bronchite depuis quelques jours. Mais elle poursuit obstinément son travail : sa tournée européenne, le Find what feels good Roadshow l’a déjà emmenée à Stockholm, à Berlin et à Londres où près de 2400 fans ont participé à son cours à l’Alexandra Palace. Adriene ne laissera pas tomber les yogis qui l’attendent encore à Amsterdam et Paris. Des adeptes qui ont appris à la connaître dans l’intimité de leur propre salon, et dont elle se sent responsable. « Souffraient-ils d’un chagrin d’amour ? Se sentaient-ils déprimés ? En tout cas, j’espère que mes vidéos les ont aidés à retrouver le sommeil. » Ne pas être au top de sa forme pendant les leçons est le dernier de ses soucis. « Mes cours n’ont rien à voir avec moi. C’est le yoga qui importe. Le professeur de yoga est un guide, voilà tout. »
Ma petite entreprise
Il n’est pas simple de combiner ses deux mondes : celui, très public, du yoga, et sa vie privée. « Quand j’ai débuté, il y a six ans, tout était encore simple et modeste. Aujourd’hui, je suis à la tête d’une énorme entreprise qui exige un travail constant et une réactivité permanente, que ce soit en ligne ou en direct. Paradoxalement, le yoga ne me permet plus de me reconnecter avec moi-même. » Mais elle trouve d’autres manières de prendre soin d’elle. « Car je ne veux pas me brûler les ailes, et je ne veux certainement pas arrêter de m’amuser. »
Alors que fait-elle pour se détendre ? Elle écrit dans son journal, et elle passe du temps avec sa famille, ses amis et son chien Benji. Autre stratégie efficace ? Éteindre son téléphone. « Sans cette source constante de distractions, je redécouvre mon intuition et mes besoins. Même si j’utilise les réseaux sociaux, j’apprécie beaucoup les pauses, de temps à autre. Sur Internet, on nous dit tout le temps quoi penser, quoi faire, quoi porter. Moi, je préfère faire mes propres choix. »
Des larmes de bonheur
Cette indépendance d’esprit lui vient de ses parents, tous deux acteurs. Elle avait 11 ans quand ils se sont séparés. Une épreuve douloureuse pour cette enfant unique, qui aurait aimé que les choses ne changent jamais. Pourtant, ce divorce l’a rendue encore plus indépendante et responsable qu’elle ne l’était déjà par nature. « Ma mère a toujours dit que j’étais une “vieille âme”. » Et c’est ainsi qu’elle quitte le domicile familial à 17 ans pour suivre son propre chemin.
C’est à cette époque qu’elle prend son premier cours de yoga. « Lors de ma première leçon, j’ai pleuré des larmes de bonheur. C’était nouveau pour moi, qui ne pleurais que lorsque j’étais triste. Je crois que ces larmes de joie viennent quand on découvre qui l’on est vraiment. On se retrouve dans une sorte d’état de pureté et d’innocence. » Dès lors, le yoga fait partie intégrante de sa vie, mais il n’est pas tout de suite question d’en faire son métier, car comme ses parents avant elle, elle souhaite devenir actrice.
C’est d’ailleurs sur le plateau d’un film d’horreur qu’elle rencontre celui qui deviendra son partenaire professionnel, Chris Sharpe. C’est lui qui imagine le concept de vidéos de yoga en ligne, et qui la convainc d’utiliser son propre prénom, Adriene. Après quelques essais, elle trouve le bon ton – des vidéos teintées d’autodérision et de remarques désopilantes sur l’état de son T-shirt (taché), par exemple. Son chien Benji, qui joue un rôle secondaire récurrent sur le tapis de yoga, contribue à l’atmosphère décontractée des vidéos. Comme elle le dit elle-même, on y voit « une fille du Texas parfaitement ordinaire, qui poste quotidiennement des vidéos de yoga de son salon ». Et voilà bien la raison de l’immense succès de Yoga With Adriene. Adriene reste elle-même et son message est simple : « Si j’en suis capable, vous l’êtes aussi. » Elle parle aux internautes comme si elle papotait avec des amis, et son expérience d’actrice lui permet de savoir ce qui va marcher ou non.
Toi, tu es mexicaine ?
Cette approche lui permet de remplir la mission qu’elle s’est fixée : rendre le yoga accessible à tous. Pas seulement aux adultes, mais aussi aux enfants. « Les professeurs des écoles m’écrivent souvent pour me dire qu’ils montrent mes vidéos de yoga dans leur classe et qu’elles calment les élèves. C’est ce qui m’a donné l’idée de faire une tournée de yoga dans des écoles primaires à travers les États-Unis. »
Autre cible ? Les adolescentes. « C’est à la puberté qu’un grand nombre de filles arrêtent le sport. Alors que le yoga est une méthode très efficace pour apprendre à gérer les changements physiques déroutants et les émotions tumultueuses. »
Elle n’oublie pas la communauté hispanique de son pays, qui souffre massivement de pauvreté et de discrimination. Et si cette cause la touche si profondément, c’est parce que sa mère est mexicaine. Elle a d’ailleurs suivi un cours intensif d’espagnol dans l’idée d’enseigner un jour le yoga dans cette langue. « Autrefois, mes racines ne m’intéressaient pas trop. Mais maintenant que je suis devenue une sorte de modèle pour beaucoup de gens, j’en parle plus, pour aider les Latinos à combattre les préjugés. Les gens ont parfois des réactions choquantes, et refusent de croire que je suis d’origine mexicaine. »
« Il est temps d’en finir avec cette haine dont nous faisons preuve les uns envers les autres. Car lorsqu’on se sent blessé, on va plus facilement blesser les autres. Grâce au yoga, les gens apprennent à se sentir bien dans leur peau, et plus proches les uns des autres. »
Si la confiance en soi prenait le dessus sur la haine de soi, le monde deviendrait meilleur – Adriene en est persuadée.
TEXTE Marlies Kieft PHOTOGRAPHIES Harold Pereira