S’attendre à l’inattendu
On dit que dans la région de l’Inde qui s’appelait autrefois Videha vivait, il y a des siècles, le roi le plus affable et le plus juste qui ait jamais existé : Janaka. Le roi Janaka faisait du yoga depuis de nombreuses années, sous toutes ses formes. Il ne se contentait pas d’une longue posture quotidienne sur la Tête, il lisait aussi tous les jours des textes de yoga et pratiquait le Karma Yoga, c’est-à-dire le yoga de l’action. Janaka n’était pas seulement un yogi zélé, il était aussi intelligent, beau, stable et généreux. Et sa femme était tout aussi forte, aimable et consciente que lui. Ensemble, ils gouvernaient le royaume de Videha avec puissance, vision et amour. Les habitants du royaume étaient heureux, car ils savaient qu’en cas de problème ils pouvaient compter sur le soutien de leur roi et de leur reine. Tous, sujets comme souverains, contribuaient au fait que le royaume soit devenu le carrefour culturel et politique le plus important d’Asie du Sud.
Effet apaisant
Une des activités préférées de Janaka quand il ne se tenait pas sur la tête et qu’il ne gouvernait pas était la culture d’une parcelle de terre qui entourait le palais. Il aimait utiliser sa charrue pour ameublir la terre, puis il semait diverses graines, arrosait et attendait que les premiers semis émergent. Pour Janaka, cette occupation était aussi une forme de Karma Yoga – une manière de s’entraîner à agir pour agir, sans être attaché à un quelconque objectif. Car il savait que le résultat ne dépendait qu’en partie de lui. Il pouvait bien labourer la terre, planter les graines à bonne distance les unes des autres et arroser suffisamment, cela ne garantissait pas que les graines germeraient, que les plantes pousseraient, que le soleil brillerait et que les fruits des plantes (s’il y en avait) auraient bon goût. Réaliser qu’il ne pouvait contrôler le résultat de ses actions avait un effet apaisant sur lui. Cela l’encourageait à faire tout ce qu’il faisait avec amour et attention, sans se préoccuper des conséquences.
Chanter pour la Terre
Tout en labourant le sol, Janaka aimait chanter des mantras pleins d’amour pour la terre, s’imaginant que ces mantras pénétraient au plus profond du sol. Et c’est exactement ce qui se passait. Tous les jours, la terre était comblée par l’attention, la chaleur et les soins du roi Janaka, ce qui la rendait de plus en plus généreuse et fertile. Le labourage était comme une douce caresse, et si la terre avait pu s’étirer comme un chat repu, elle l’aurait fait. Heureuse, elle décida de donner au roi et à la reine ce qu’ils ne pouvaient avoir : un enfant.
La plus belle récolte
Voici donc ce qui advint : un beau jour ensoleillé, alors que Janaka labourait la terre, il entendit soudain derrière lui de petits cris et gazouillis. Il se retourna, effrayé à l’idée qu’il ait pu accidentellement blesser un petit animal. Mais au lieu d’une bête, il découvrit un magnifique bébé, posé sur la terre fraîchement labourée. La petite fille le regarda de ses grands yeux, puis tendit en riant ses bras grassouillets vers lui. Elle trouva instantanément une place dans le cœur de Janaka. Il remercia la terre pour la plus belle récolte qui puisse être, puis rentra à la maison, le bébé dans ses bras. Sa femme fut aussi heureuse que lui. Ils l’appelèrent Sita, ce qui signifie “Sillon”, car c’est là qu’elle était apparue.
Sita était comme une incarnation de la Terre mère : plus forte que mille valeureux guerriers, bienveillante, généreuse et légèrement capricieuse. C’est l’histoire du père de Sita, de la terre et de la naissance de Sita qui forment le mythe qui a donné son nom à Halasana, la Charrue.
S’attacher n’a pas de sens
Halasana nous rappelle que lorsque nous agissons avec amour, sollicitude et attention, nous recevons une belle récompense en retour. Cette histoire nous avise aussi que ce que nous recevons n’est pas nécessairement ce que nous avions espéré et attendu : quand nous semons des graines, peut-être obtiendrons-nous une plante, ou peut-être que rien ne germera et qu’une chose inattendue se produira. Halasana nous montre ainsi que le fait de nous attacher à tel ou tel résultat n’a pas de sens, car c’est hors de notre contrôle. Cette prise de conscience n’est pas seulement source de paix, elle nous permet aussi d’agir avec plus de joie, afin de devenir, comme Janaka, un(e) yogi(ni) dans l’âme – c’est-à-dire heureux et stable.
Texte : Irina Verwer Photographie : www.christinelovehewitt.com