La sagesse des Amérindiens
Nous sommes le 21 juin, c’est le solstice d’été, le jour où le soleil atteint le point le plus haut de sa trajectoire. Je traverse en voiture les Black Hills, un extraordinaire massif montagneux situé exactement au milieu de l’Amérique du Nord. Tout autour s’étend la prairie. Les Black Hills forment un labyrinthe de plateaux et de vallées recouverts de sapins. Le célèbre mont Rushmore, sur la bordure orientale du massif, attire les visiteurs venus admirer les effigies des présidents américains gravées dans la pierre. Mais ici, au cœur des Black Hills, on ne rencontre pas de touristes. Les cerfs et les rares bisons que je croise me dévisagent avec surprise.
Il n’y a pas non plus de réseau et je trouve agréable de ne pas être distrait par mon écran. Cela renforce mon sentiment de ne faire qu’un avec mon environnement. Dans une vallée reculée, j’aperçois au bord de la route un bâton enveloppé de sauge et de rubans rouges. Plus loin, caché derrière des sapins, se trouve un tipi. Ça y est, je dois être arrivé au Sundance camp des Sioux. La Danse du Soleil est la cérémonie la plus sacrée des Indiens des Plaines, mais pendant longtemps, ce rituel a été interdit par les Américains. Ce n’est qu’à partir de 1978 que les Indiens ont pu pratiquer de nouveau leur cérémonie sans se cacher. Les Black Hills sont des montagnes sacrées. C’est ici que se déroule l’histoire de leur création et c’est ici que les Sioux cherchent à entrer en contact avec le monde spirituel. Je retire mes chaussures – car il faut sentir la terre sous ses pieds durant une cérémonie. Je traverse les herbes et poursuis mon chemin au-delà du tipi. Au loin dans les bois résonnent des tambours et je vois de la fumée qui s’élève d’un grand nombre de tipis. Avec mille précautions, je m’approche du camp où je vais pouvoir me familiariser avec la spiritualité amérindienne.
Une vision venue de l’Occident
Quand on parle de pleine conscience, de méditation et de sagesse spirituelle, on se réfère souvent à l’Asie, lieu de naissance du yoga. Mais on peut aussi se tourner vers l’Occident, et vers le mode de vie traditionnel des peuples premiers de l’Amérique. On remarque d’ailleurs un grand nombre de points communs.
Pendant longtemps, les Indiens ont été considérés comme une “race mourante”. En effet, les survivants du génocide commis par les Américains se sont retrouvés enfermés à l’écart de la société, dans des réserves, et n’ont plus été évoqués que dans des romans. Quant à leurs descendants, on ne les voyait que dans des westerns. Mais là, ils ont fait preuve de résistance. Leur vision du monde est bien différente de celle des Européens – c’est une conception du monde pleine de vie, que l’on retrouve chez tous les peuples indiens, qui se comptent par centaines, et tout particulièrement ici, dans le cadre de la cérémonie de la Danse du Soleil. Nous commençons seulement à réaliser que leurs savoirs traditionnels sont précieux et utiles, tout particulièrement dans nos vies “modernes”.
Au cœur de la vision amérindienne de la vie, il y a l’idée d’interdépendance. Mitakuye Oyasinen langue sioux : « Nous sommes tous reliés les uns aux autres. »Cette affirmation marque le début et la fin des prières et des cérémonies. Les Indiens sont imprégnés de l’idée que tout ce que nous faisons affecte le reste du monde. Tout est relié et se maintient en équilibre – ou c’est en tout cas ce qui devrait se passer. Ce lien existe entre les gens, mais aussi avec les autres êtres vivants, les plantes et les animaux, et même avec les montagnes et les rivières, l’eau et la Terre. Pour les Indiens traditionnels, nous ne sommes pas seulement apparentés aux membres de notre famille, mais aussi à la Terre Mère, à notre Père le Soleil, et à tout ce qui fait partie de la création. Cette idée est loin d’être anodine. On n’abandonne pas les membres de sa famille ; on les traite avec respect et l’on en prend soin. Les cérémonies indiennes expriment le respect et la gratitude, et cherchent à renforcer ainsi qu’à restaurer cet équilibre. Prenons la Danse du Soleil, par exemple : les danseurs représentent leur lien avec la Terre Mère et leur gratitude pour leur Père le Soleil. Ils saluent le Soleil et dansent en faisant des mouvements précis basés sur l’idée d’équilibre. Les hommes qui participent à la danse se font percer la poitrine ou le dos, en signe de mortification. Les femmes ont le droit de participer à la Danse du Soleil, mais ne peuvent se faire percer le corps. « Notre spiritualité indienne aspire toujours à l’harmonie, explique Madonna Thunder Hawk, grand-mère sioux et meneuse du mouvement des femmes amérindiennes. Les femmes endurent déjà le sang et la douleur durant l’accouchement. La Danse du Soleil permet donc de restaurer l’équilibre entre l’homme et la femme en faisant subir la même chose aux hommes. »Tout comme le yoga, les cérémonies indiennes permettent de ressentir l’union entre le corps et l’esprit. Les danseurs du Soleil poussent leur corps à bout (ils jeûnent aussi pendant quatre jours), afin d’éveiller leur spiritualité. C’est pour la même raison que les guides spirituels amérindiens reçoivent parfois le titre d’hommes-médecine : il n’y a pas de frontière entre le corps et l’esprit, et donc entre les troubles psychiques et les troubles physiques. Voilà pourquoi, autrefois, les Amérindiens n’avaient pas de docteur s’occupant seulement des affections physiques, mais faisaient appel à un guide spirituel qui pratiquait une médecine holistique.
Fumée purifiante
« Nous parlons de spiritualité, déclare Madonna Thunder Hawk. Ce n’est pas comme la religion. La spiritualité est notre manière de vivre, toujours, et tous les jours. »En tant que visiteur venu de l’extérieur, je vois leur spiritualité s’exprimer dans leur façon de penser et de parler, et dans leurs rituels. Ils commencent leurs rassemblements en faisant brûler de la sauge ou du foin d’odeur (sweet grass) séchés. La fumée agréablement parfumée qui s’en échappe permet de débarrasser l’environnement des influences négatives. On purifie également les auras de chacun des participants en faisant passer la fumée tout autour d’eux. Ils l’attirent à eux avec leurs mains, et offrent un “bain” purifiant à leur visage et à leur corps. Avant d’utiliser les tambours, on les purifie et on les bénit en les baignant de fumée. Ce sont ces tambours qui créent et harmonisent l’énergie spirituelle – leurs battements reproduisent le pouls de la Terre Mère.
Renard Courageux, l’ancien chef de la tribu de Standing Rock – une réserve indienne –, m’explique l’importance, dans sa culture traditionnelle, du concept d’interdépendance. « Tout ce qui bouge a une âme. Et si quelque chose a une âme, nous y sommes reliés, qu’il s’agisse d’un animal, de l’herbe ou des arbres… Je ne suis pas plus grand ou plus important que les autres êtres vivants. Je fais partie du grand tout. Et ça, on le comprend quand on sait qu’on est relié aux autres âmes. Car on peut alors se parler, peut-être pas avec des mots, mais de manière subliminale. On ressent un lien avec la Terre et l’eau. Et c’est pour ça que l’on fait tout pour les protéger. »Renard Courageux appelle donc à faire attention à ce que l’on mange, à ce que l’on achète, à l’énergie que l’on utilise dans sa maison. « Nous devons participer au changement. Car nous, les Indiens, nous ressentons encore ce lien, et nous devons nous consacrer à la lutte pour la protection de l’eau et des autres sources de vie. »Sans oublier de penser aux conséquences de nos actions sur les sept générations à venir. En racontant son histoire, Renard Courageux fait de la lutte pour une société durable – une alimentation biologique, une économie circulaire et des énergies renouvelables – une mission personnelle, que chacun peut mener à sa propre façon.
Lorsque je quitte les Black Hills au volant de ma voiture, je vois que mon téléphone capte de nouveau. Il s’agit là de capter d’une façon bien différente de la spiritualité dont je viens de faire l’expérience chez les Indiens sioux. Cette vision m’accompagnera encore longtemps, même quand je serai de retour dans le “monde civilisé”.
Texte : Serv Wiemers & Photographies : Serv Wiemers