Vers l’autonomie
Sur le tapis comme dans la vie, il est facile de nous laisser influencer par divers modèles, aussi inspirants soient-ils, qui nous dictent quoi faire, à qui ressembler. Sortir d’un schéma de simple imitation, d’une situation de relative passivité, c’est s’ouvrir à la créativité et à la réalisation, fascinante, de sa propre autonomie.
Sur le tapis…
La pratique du Yoga Ashtanga en style Mysore a ceci de très particulier qu’elle est une aventure personnelle. Pratiquer en style Mysore signifie apprendre (du professeur) une série précise de postures, dans l’ordre, puis l’intégrer seule, sur mon tapis au rythme de ma respiration, sans instruction extérieure. Cela implique de devenir indépendante. M’affranchir de la présence d’un modèle extérieur pour passer à l’action avec mes propres outils : mon corps, mon mental, mon cœur.
Au quotidien, je vois que chaque jour est différent (que chaque jour je suis différente !) et que ma pratique, quand bien même je répète les mêmes postures, est en constante évolution. Je connais le chemin, il me suffit de le suivre. Pourtant certains jours, mon corps est dense, fatigué. Vais-je négocier des raccourcis ? D’autres jours, la peur monte lorsque arrivent ces postures d’équilibre qui me rendent fébrile. Vais-je créer des variantes moins inquiétantes, ou oser essayer ? D’autres fois encore, l’énergie est là, bouillonnante, et je plonge dans ce bain de souffle en mouvement. J’apprends à m’écouter, à me connaître, à reconnaître la peur ou la paresse, le courage ou l’ego, ce qui me fait grandir, me renforce. Impossible de me mentir ou de m’appuyer sur les autres. Chaque choix est le mien. Dans l’espace de mon tapis, je suis autonome. Je fais s’élever en moi la voix qui guide mon souffle, mes salutations, mes postures, ma relaxation… Le maître, c’est moi. L’élève, c’est moi.
… dans la vie
Adolescente, j’ai toujours été une grande fan : combien de chanteuses, d’actrices n’ai-je pas rêvé d’être ! Influencée par des modèles extérieurs, je me pliais aussi docilement à l’autorité de mes parents et professeurs. Pour mes choix de vie, il m’a souvent fallu l’assentiment de mon entourage, comme si chaque pas nécessitait d’être validé par d’autres que moi.
Ce que me donne la pratique aujourd’hui, c’est la faculté d’être, je pense, la première personne que j’interroge, et au final la seule qui décide !
Tout récemment, deux événements ont secoué mon quotidien : une crise profonde de mon couple et la proposition inattendue d’un nouveau travail. Fragilisée, je n’étais plus sûre de rien, incapable de prendre une décision. En quelques jours, je me suis inondée d’avis extérieurs, d’opinions, de conseils, si bien qu’au fond de moi, je me sentais encore plus perdue.
Chaque matin, j’ai pratiqué. Agitée de pensées et de peurs, je me suis accrochée à ma séquence, son ordre bien précis, à mon souffle, à mon guide intérieur. Mille fois j’ai voulu m’arrêter, je n’arrivais pas à être présente. Pourtant quelque chose au fond brillait et me disait : reste, continue. Enfin un jour, repliant mon tapis, une vague puissante m’a envahie. Je me suis sentie si forte, si capable, si sûre de moi !
J’ai appelé mon client et j’ai affirmé : cette mission est pour moi, je relève le défi. J’ai fait face à mon compagnon et j’ai affirmé : cette relation n’est pas juste pour moi, elle me contraint et me rend dépendante. Il faut nous transformer, ou j’avancerai seule.
Le plus précieux don du yoga dans ma vie de tous les jours, c’est cette prise de conscience de mon autonomie. Ma pratique m’aide à développer cette capacité à sentir plus clairement quel est mon chemin. À décider : j’agis, en conscience, et surtout en confiance. Et chaque jour, je déclare mon indépendance. Je déploie mes propres ailes de lumière. Car si je ne suis pas moi, qui le sera ?
Texte : Helen Eastwood (Anandakala Yoga à Montreuil), Photographie : Isabelle Nègre